RétrospeKtive : « Peninsula » de Yeon Sang Ho

Yeon Sang Ho est de retour dans son univers zombie, 4 ans après l’excellent « Dernier Train pour Busan » (2016) et 2 ans après « Seoul Station » (2018). J’ai eu l’opportunité de le voir au cinéma juste avant le reconfinement, une chance ! Je vous propose ainsi une review du dernier né de Yeon pour cette première RétrospeKtive.

Écrit par Yeon Sang Ho et Park Joo Suk, « Peninsula » se déroule 4 ans après l’apparition d’un virus qui transforme les gens en zombies. Jung Seok, ancien militaire, fait partie des quelques milliers de réfugiés sud-coréens qui ont réussi à fuir la péninsule vers les pays voisins. Vivant depuis à Hong Kong, où le virus n’a pas sévi, Jung Seok vit en paria et n’a plus goût à la vie. Un mafieux local lui fait un jour la proposition de récupérer un camion contenant 20 millions de dollars. À la clé: la moitié de la somme pour les membres de la mission. Peu désireux de retourner dans cet enfer, c’est son beau-frère Chul Min qui le convainc d’accepter. Mais, très vite, la tâche s’avère plus ardue que prévue.

« Peninsula » a été une agréable surprise. N’ayant vu ni bande-annonce ni photos promotionnelles du film, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre pour ce nouvel opus. J’ai adoré « Dernier Train pour Busan » qui a été salué par le public et la critique à l’époque de sa sortie et dont l’ombre devait planer au dessus de « Peninsula » pour beaucoup. Je suis cependant allée voir le film en gardant en tête qu’il ne s’agissait pas d’une suite mais bien d’un film indépendant. « Peninsula » est une autre version, une autre histoire se déroulant dans cet univers.

L’intrigue est bien rythmée et ne perd pas de temps, alternant entre scènes de fuites, courses poursuites et scènes de répit. On se retrouve projetés dans le mode de vie des différents personnages au fur et à mesure de l’histoire, découvrant les motivations et la ténacité de chacun à survivre.

Dans la péninsule, le nombre fait la force. On suit ainsi deux groupes qui réussissent tant bien que mal à subsister parmi les zombies qui infestent les rues de Séoul et de son port.

L’un deux est un groupe paramilitaire, constitué uniquement d’hommes, armés et repliés dans une zone fortifiée. Ces derniers lancent des raids de récupération de denrées alimentaires. De retour à leur base, ils organisent un jeu cruel où leurs captifs sont lâchés avec des zombies dans une arène. Ce divertissement sanglant est non sans rappeler la Rome antique et les combats à mort de gladiateurs. Un spectacle qui souligne la perte d’humanité et de raison de ces hommes, laissés pour compte.

L’autre groupe possédant le moins de membres est composé de Min Jeong, ses deux filles et leur grand-père. Survivantes ingénieuses, les deux filles de Min Jeong ont le cœur sur la main et n’hésitent pas à venir en aide à autrui. Elle sauvent ainsi Jung Seok d’une mort certaine dans une scène digne de « Fast and Furious ». Le grand-père quant à lui pense pouvoir sauver sa famille grâce à une vieille radio avec laquelle il pense communiquer avec les secours.


Si les personnages de « Peninsula » ont en commun leur désir de survie, ils possèdent chacun leur propre personnalité et leurs motivations.

Jung Seok, le protagoniste principal, souffre du syndrome du survivant. Après la perte de sa famille, il n’a plus goût à rien et se contente, lui aussi, de survivre. Il est rongé par le manque et la culpabilité d’avoir survécu. Son envie de revenir dans son pays natal est, selon moi, avant tout motivée par une quête de rédemption. Un retour en enfer nécessaire pour l’ancien militaire afin de découvrir s’il a le droit à la paix de l’âme.

Chul Min, le beau-frère de Jung Seok, souffre également de la disparition de sa femme et de son fils et essaye tant bien que mal de se reconstruire dans un monde où il rencontre des difficultés à s’intégrer et où il est rejeté par les individus à cause de l’épidémie dont il a réchappé. Tout au long de l’histoire, il est curieusement celui qui reste le plus optimiste, refusant de perdre goût à la vie. Un personnage foncièrement humain qui doit jongler entre le deuil, la stigmatisation et la peur de perdre son humanité et sa raison.

Min Jeong est une femme pragmatique qui place la sécurité et la survie de sa famille avant tout. Elle ne s’attarde pas inutilement sur le passé et préfère voir en Jung Seok un allié plutôt qu’un frein ou un ennemi. Elle a le sens du sacrifice et sait prendre les devants.

Les filles de Min Jeong, l’adolescente Jooni et la petite Yu Jin sont soudées et débrouillardes. As du volant, Jooni connaît les rues de la capitale coréenne à merveille. Yu-Jin, quant à elle, réussi à faire diversion auprès des zombies grâce à ses voitures télécommandées flashy et bruyantes. Leur jeune âge ne fait pas d’elles des personnages faibles ou des fardeaux, mais, bien au contraire, il constitue leur force. Les deux jeunes filles sont l’incarnation de la bonté, de la générosité et du courage. Elles n’hésitent pas à porter assistance à Jung Seok. Ce sont des jeunes filles qui croient encore à l’entraide, qui ont de la compassion et qui véhiculent les valeurs de la piété filiale, valeur importante dans la société sud-coréenne.

De son côté leur grand-père est la figure inébranlable de l’espoir.

Le capitaine Hwang, un des responsables du groupe paramilitaire est un homme qui a sombré totalement dans la bestialité après que son pays a été laissé à son sort par le reste du monde. Contribuant à faire du cadre de l’intrigue une zone de non-droit, il est sanguinaire, n’hésite pas à tuer sommairement et organise les jeux sanglants de l’arène de sa base. Méfiant, il ne recule devant rien pour survivre. Il incarne la perte d’humanité dans une humanité entourée par la peur et l’horreur.

Le capitaine Seo, qui est à la tête du groupe paramilitaire est l’archétype du lâche. Trop lâche pour vivre et trop lâche pour mourir. Ce personnage est selon moi le plus antipathique. Il est méprisable car il est malicieux et fourbe. Il n’a aucun courage et aucune loyauté. Sa volonté de survivre est non sans rappeler celle de Yon Suk, l’antagoniste principal de « Dernier Train pour Busan ».


J’ai tout particulièrement apprécié l’atmosphère du film. Plus sombre esthétiquement et visuellement que « Dernier Train pour Busan », le long-métrage présente Séoul et le port d’Incheon, principalement la nuit, portant encore les stigmates de la fuite massive des habitants rendant le décor urbain lugubre. La mise en scène insiste sur la désolation et le danger qui règne depuis l’apparition du virus.

Sur les routes s’agglutinent les voitures fuyant la ville pour regagner le port. Cela m’a automatiquement évoqué la scène du premier épisode de « The Walking Dead » dans lequel on découvre le héros, Rick Grimes, à cheval sur l’autoroute menant à Atlanta et dont la fuite des habitants est également visible par les bouchons de voitures à l’arrêt.

Peninsula reprend de nombreux codes de films catastrophes et de zombies. En effet, impossible de ne pas penser à Mad Max Fury Road lors des scènes surréalistes de poursuites en voiture dans Séoul. De plus, la personnalité pragmatique de Min Jung, se refusant à l’amertume, tentant d’aller de l’avant en permanence m’a rappelé la philosophie de Gerry Lane, héros du film « World War Z » (2013). Agent de l’ONU, Gerry doit, lui aussi, aider sa famille à survivre et pour cela applique le mantra: le mouvement c’est la vie.

La lumière et la musique sont au service de l’intrigue et contribuent à créer une atmosphère tour à tour tendue, stressante et émouvante.

« Peninsula » est un film qui pose de nombreuses questions, et donne à réfléchir. Le personnage de Jung Seok, notamment, nous permet de nous interroger sur plusieurs points: une mauvaise décision fait-elle forcément de nous quelqu’un de mauvais ? Un acte perçu comme égoïste l’est-il réellement ? La survie est-elle un acte égoïste ? Peut-on et doit-on chercher la rédemption ?
À l’inverse, les deux jeunes filles ont elles raison de faire de bonnes actions ? Est-ce contraire à leur propre intérêt/survie ?

En ce qui concerne le groupe paramilitaire, ne peut-on pas comprendre la folie dans laquelle ils ont sombré ? Après tout, ces derniers sont désespérés, n’ont aucune perspective d’avenir dans un environnement hostile où la mort est possible à tout instant si l’on relâche sa vigilance. Dans un monde devenu fou, comment ne pas le devenir également ? On se raccroche donc au moindre grain de poussière d’espoir. Comprenant leur état d’esprit, j’ai parfois ressenti de la pitié pour ces hommes.

Des questions et des réflexions qui font écho à celles de notre époque et de notre société, selon moi, et, auxquelles le réalisateur apporte une vision assez optimiste et empreinte d’espoir.

J’ai passé un très bon moment au cinéma et je n’ai pas vu passer les 1h55 du film.

Et vous, qu’avez-vous pensé de « Peninsula » ? Dîtes-le nous en commentaire !

Pour ceux qui ne l’aurait pas vu, j’espère vous avoir donné envie de le voir et vous faire votre propre avis.


Fiche technique
Durée: 1h55
Titre original: 반도 (Bando)
Genre: Horreur – Zombie
Date de sortie: 15 Juillet 2020
Réalisateur: Yeon Sang Ho (연상호)
Scénariste: Yeon Sang Ho (연상호) et Park Joo Suk (박주석)
Casting: Kang Dong Won (강동원), Lee Jeong Yeon (이정현), Kwon Hae Hyo (권해효), Kim Min Jae (김민재), Koo Kyo Hwan (구교환), Lee Re (이레) et Lee Ye-won (이예원)
Photographie: Lee Hyung-deok (이형덕)
Montage: Yang Jin Mo (양진모)


– Amy. J –